Histoire de l'Alpage
de LORIAZ

 

 

  

 

Présentation

 

 

            L’alpage de Loriaz se situe sur la commune de Vallorcine, à une altitude comprise entre 1900 et 2400 m. D’une superficie de 447 hectares cadastrés (en fait, seuls 110 sont valables), il est orienté dans l’ensemble Est / Sud Est. Il occupe de vastes surfaces peu inclinées taillées dans les gneiss par d’anciens glaciers. La foret s’arrête aujourd’hui aux environs de 1900 m mais elle semble être montée beaucoup plus haut vers 2100 m et plus (des souches d’arbres en attestent).

 

 

 

 

Toponymie

 

            Dans les premiers documents datant de 1439, l’alpage s’appelle l’Hault Réal. L’Hault ou l’Au désigne l’Alp (le terme l’Au se rencontre dans le Valais voisin, comme par exemple au dessus de Champex-d’en-Bas où se trouve le Plan de l’Au). Réal signifie le défrichement (terme dérivé du germanique). L’histoire veut que les premiers habitants de la vallée fussent des Hauts Valaisans aussi appelés Wallsers.

            L’Hault Réal s’écrira par la suite Lauréal (1738) puis Loréaz (1800), Loréal (1817), Lauréaz, Lauréat et enfin Loriaz dans la seconde moitié du XIXe siècle.

 

 

Origine de l’Alpage

 

            Dés 1264, le Prieur de Chamonix installe des colons du haut Valais à Vallorcine (les Wallsers). Le défrichement de la montagne est entrepris. Au début du 14ème siècle, l’alpage de Loriaz semble déjà souffrir du manque de place. Un procès existe entre les Vallorcins et les Valaisans à propos de l’alpage d’Emosson. Une véritable guerre locale éclate alors. Les Vallorcins la perdent malgré l’aide reçu des Chamoniards et des gens de Passy.  En 1439, les limites de l’alpage sont fixées. Cette fois, la menace vient de la convoitise de certains habitants de la vallée qui souhaitaient s’approprier des pâturages. L’inalpage individuel est ainsi interdit par les textes tout comme la propriété privée à l’intérieur de la montagne. L’alpage devient une propriété commune de tous les comparsonniers (ou consorts par la suite) de Vallorcine. La communauté est déclarée éternelle.

 

 

Organisation sur le terrain

du premier alpage

 

 



             Le premier alpage fut implanté au lieu dit le Plan de l’Au. On retrouve deux enclos pareillement disposés : une enceinte circulaire avec deux entrées, une grande cour intérieure parfaitement plane sur laquelle s’ouvrent de petites écuries en pierres sèches (on peut reconnaître encore aujourd’hui le soubassement d’environ 25 bergeries de différentes tailles). Il s’agissait de « Challex ». Les toits étaient en bois ainsi que probablement des murs (selon la tradition valaisanne). Ces petites étables abritaient alors le bétail d’un, deux ou trois comparsonniers (la même organisation se retrouve dans le reste de la vallée de Chamonix).

 

 

      

Entrée de l’enclos principal et ruines de bergeries.

 

Vue d’ensemble du premier alpage au Plan de l’Au. Le site principal
est formé d’une cour intérieure circulaire entourée par des écuries.

 

 

 

 

            Le site choisi avait le double avantage de l’abondance des eaux (le Nant se partage ici en plusieurs bras et une source importante surgit de la moraine du Sassey). Cette moraine constituait de plus un superbe paravalanche naturel au pied de l’Aiguille de la Loriaz.

 

 

 

        

Les Cornes de la Loriaz et la moraine du Sassey à ses pieds.


Vue d’ensemble des ruines du premier alpage protégé par la moraine du Sassey.

 

 

Source du Sassey (au pied de la moraine).


            Enfin, le document de 1439 (le plus ancien retrouvé) indique que deux Vallorcins se sont engagés à construire et à entretenir la Chavanne (fromagerie et habitation des bergers) et à fournir le matériel. En échange, ils obtiennent le fumier avec la possibilité de l’évacuer par un canal. Ce dernier passe auprès des deux enclos, se jette dans un étang fermé par une digue pavée. Cet étang devait permettre une « chasse » périodique du lisier (un écoulement permanent se serait perdu en cours de route). Ce droit sur le fumier, matière première précieuse pour fumer les pelouses de l’alpage, leur a été concédé du fait que les étables se trouvaient au point le plus bas de l’alpage et qu’il était ainsi impossible de le répandre par gravité. Cet échange se retrouve aussi à l’alpage de Charamillon.

 

 

Canal menant à l’étang à lisier. Ce dernier est fermé par une digue pavée – an 1439.

 



Transfert de l’alpage sur un nouveau site

 

 

            Des textes de 1615 dénoncent les problèmes du premier alpage :

 

-         inondations dues au Nant,

-         voisinage de blocs rocheux dangereux pour le bétail.

 

 

Il est alors envisagé le transfert sur un nouveau site, le Joyat (terme désignant la foret). Mais après réflexion, les chalets ne seront pas construits à cet endroit (par crainte des avalanches). On lui préférera un terrain plus à l’abri, un peu plus bas. L’eau manquait. Un canal de plus d’un kilomètre sera construit. Grâce à lui et à l’emplacement central des écuries sur l’alpage, il sera ainsi possible de fertiliser de vastes étendues par l’utilisation d’un réseau de rigoles assurant l’épandage du lisier.

 

 

 

Vue d’ensemble du site de Loriaz et du transfert

en 1615 cent mètres plus haut.

 

 

  

1er canal d’irrigation creusé en 1615

 

Ancien canal amenant l’eau à l’alpage de Loriaz.

 

 

Aujourd’hui, le canal de 1615 n’est plus en eau mais son tracé permet à une

conduite PVC d’acheminer l’eau depuis « les Combes » jusqu’aux bergeries.

 

 

L’eau est ainsi disponible à cet abreuvoir.

 

 

 

          Les constructions

 

Après la guerre de succession d’Autriche (1740-1748) durant laquelle Vallorcine est occupé par des cavaliers espagnols, la prospérité revient. En 1761 la reconstruction des chalets est entreprise. Ceux-ci sont à nouveau édifiés par des petits groupes de consorts associés. Le sol reste propriété communale mais aucun impôt foncier n’est dû. La chavanne semble, pour sa part, propriété de la commune. Elle n’apparaît pas dans les comptes des consorts de l’époque. Deux écuries font exception. Elles appartiennent en toute propriété à leurs bâtisseurs car ils sont d’anciens possesseurs de parcelles privées sur l’alpage.

 

Les constructions restent sur le mode valaisan, c’est-à-dire avec un soubassement en pierres sèches et des murs en bois. Certaines seront tout de même édifiées avec des murs en pierres liées au mortier (les fours à chaux ont fait leur apparition dans la vallée à cette époque).

 

 

 

Le troupeau et les pâturages

 

Le troupeau est alors constitué d’environ 120 laitières (appartenant à 46 consorts). Il est sous la garde de 7 montagnards. L’inalpage ne dure à cette époque que deux mois (de mi-juillet  à mi-septembre). La production atteint tout de même 2500 kg de fromage répartis en un peu moins de 300 pièces.

 

Mais l’herbe est rare sur la montagne, c’est pour cette raison que des tentatives d’agrandissement vers le Taillen (alpage réservé au presbytère) sont entreprises. Au prix de bien des efforts, les vaches y sont montées.

 

Une autre solution pour accroître la quantité d’herbe sur l’alpage est de fumer les pâturages, méthode utilisée en Tarentaise. Des creux ont donc été terrassés sur le site de Joyat et en 1872, la commune achète 200 chaînes afin d’y attacher les vaches au piquet pendant la nuit. Ainsi, chaque matin, le fumier pouvait être répandu alentours à la pelle. Mais cette expérience tourna court. Pour que l’herbe ne soit pas brûlée, il aurait fallu retourner fréquemment l’alpage ou diluer le lisier avec de l’eau. La chose ne fut pas faite.

 

 


Sur cette photo, on distingue l’alpage de Loriaz et le Joyat au dessus.

Dans les pelouses apparaissent d’anciens canaux d’irrigation.

 


La végétation a repris ses droits dans les « creux » taillés

pour les vaches en 1872. Ils sont encore visibles sur le Joyat.

 

 

 

Lors de mes recherches sur le site du Joyat, j’ai pu retrouver parmi bien

d’autres banquettes moins visibles, celle-ci, fraîchement retaillée…

Je n’ai malheureusement pas la raison de ce travail.

 

Transfert d’appartenance et fonctionnement

 

En 1912, l’alpage appartient à la commune. Mais ce transfert de propriété n’apparaît pas dans les actes encore existants. En 1619, la commune ne l’était pas. Cette situation semble fréquente dans le Valais. Ainsi, la commune loue gratuitement l’alpage aux consorts, construit et entretient la chavanne et élit le procureur.

 

Ce dernier prend alors la responsabilité de l’alpage, fixe les dates d’estivage, veille à l’entretien et à l’achat du matériel, tient les comptes et embauche le personnel.

 

Celui-ci comprend sept personnes:

 

-         le « fruitier » qui gère la chavanne,

-         le « séracier » qui fabrique le sérac mais s’occupe aussi de la cuisine,

-         le 1er berger qui veille aux soins du troupeau et gère les pâtures,

-         les 2e et 3e berger  viennent en aide au 1er berger,

-         le boveron qui nettoie les écuries et répartit le lisier sur l’alpage,

-         le bûcheron qui exploite le bois coupé par les consorts l’été précédent.

 

Toutes ces personnes ont ainsi en charge l’entretien du troupeau qui compte suivant les époques jusqu’à 200 têtes. En moyenne, chaque consort inalpe entre deux et trois vaches. Le maximum étant de quatre pour les plus riches. Toutes les vaches sont des laitières hivernées dans l’étable du consort concerné. De plus, quelques porcs sont autorisés pour le petit-lait et des chèvres sont admises pour pâturer les zones trop dangereuses pour les vaches.

 

 

Pesée et répartition

 

 

            Comme on l’a vu par ailleurs, la pesée est un moment important de la vie de l’alpage. Deux fois dans l’été, les consorts se rassemblent pour celle-ci. La première a lieu le matin du 15e jour de l’inalpage, la seconde, l’après-midi du 30e jour. Ainsi, il semble que la moyenne la plus exacte soit atteinte. En fonction de la qualité de sa lactation, une vache peut produire entre 5 et 10 litres de lait par jour. Ainsi, ces pesées déterminent la répartition du fromage. Elle a lieu le lendemain de la désalpe. Après avoir retiré les fromages de mauvaise qualité pour les vendre, le reste est réparti au mieux, par fromage entier. Cela implique de faire payer celui qui recevra trop et inversement, de donner un peu d’argent à celui qui a reçu moins.

 

 

Photos noir et blanc trouvées dans le livre pour enfants :

 « Le petit chamois des Perrons »

Editions MYTHRA – Collection « Contes à Natacha » - année ?

 

 

 

 

Cuisson du lait dans le chaudron en cuivre.

En 1763, ce dernier fut dérobé dans la chavanne !

 

 

 

Le fromage est moulé puis mis sous presse.

 

 

Corvées

 

            Chaque consort est redevable d’une demi-journée de corvée par vache inalpée. C’est au moment de retirer ses fromages qu’il s’acquitte de sa tâche : entretien des canaux et des fossés, empierrement, coupe du bois…

 

 

Empierrement permettant de libérer les terres
des cailloux pour laisser place à l’herbe.

 

 

 

Rénovation de l’alpage après la 1ère Guerre mondiale

 

 

            Depuis la dernière reconstruction, en 1761, les chalets ont bien vieilli. Une première bergerie a été reconstruite avant la guerre de 1914. Les travaux seront repris en 1919. La commune, pour sa part, prend en charge la reconstruction d’une nouvelle fruitière en 1919. Elle ne sera terminée qu’en 1922. Entre temps, les consorts rebâtissent les nouvelles bergeries à l’extérieur des anciennes. En septembre1921, la communauté oblige les « retardataires » à faire de même pour libérer la vaste cour intérieure que l’on connaît aujourd’hui. Les bâtiments ont ainsi été construits en arc de cercle. Les murs en bois ont laissé la place à la pierre et au mortier.

 

            A l’automne 1923, deux chasseurs s’avisent qu’il est possible de construire un canal jusqu’au Joyat. Ce vieux rêve va enfin devenir réalité en 8 jours ! Chaque alpagiste participera à sa construction à raison d’une journée de travail chacun (ou 14 Fr. en cas de défaillance). L’ensemble fut primé au concours d’alpages de 1923.

            L’eau enfin arrivée au Joyat, l’alpage pouvait alors être arrosé et le lisier, monté depuis les bergeries en charrette à bras, dilué afin de ne pas brûler l’herbe.

 

 

Des constructions de 1615, il ne reste rien car les écuries ont été par deux fois

rebâties sur le même emplacement. Les chalets ci-dessus datent

de 1922, dernière reconstruction après celle de 1761.

 

 

Canal d’irrigation menant, sur 1 km, l’eau au Joyat - 1923

 

 

 

L’alpage depuis…

 

 

            Depuis 1924, le déclin de l’alpage est amorcé. Certains Vallorcins acquièrent des fonds sur « l’excellente » montagne de Balme. C’est autant de vaches en moins pour Loriaz. Par ailleurs, il est de plus en plus difficile de trouver du personnel. La main d’œuvre se fait rare dans la vallée. Des Valaisans sont embauchés, les exigences visant les rémunérations et la nourriture augmentent. De moins en moins de bêtes sont inalpées. Le coût des rémunérations s’envole au gré des dévaluations (les Valaisans exigeant même d’être payés en francs suisses). Après la seconde Guerre, les consorts ne sont plus majoritaires au conseil municipal de Vallorcine. Du coup, l’alpage est loué. Le prix demandé par tête est modique. Mais le déclin se poursuit. Il est devenu impossible de trouver un procureur. La fonction devient donc obligatoire pour chaque consort, à tour de rôle. L’inalpage des génisses n’attire personne. La taxe perçue est revue à la baisse, en vain.

 

            En 1963, l’alpage ferme alors qu’il n’a rassemblé que 24 laitières et 4 génisses.

 

En 1972, un chemin jeepable est tracé pour la construction des galeries du barrage d’Emosson (et un téléphérique est installé pour la durée des travaux). L’alpage, désenclavé, ne reprend pas vie. Le téléphérique est proposé à la commune pour le transport de voyageurs. Celle-ci ne donne pas suite. Le téléphérique sera démonté. En 1974, l’UCPA est autorisé  à restaurer la plus grande des écuries pour son propre compte. EDF fait de même. Les bergeries subissent le vandalisme. En septembre 1976, le conseil municipal vote les premiers crédits pour transformer la chavanne en refuge gardé. Le tourisme se développe. De plus en plus de randonneurs montent à Loriaz. Aujourd’hui, le refuge tourne bien l’été et les pâturages ont retrouvés quelques vaches durant les beaux jours…

 

 

 

 

Evolution du nombre

des laitières inalpées à Loriaz

 

 

            Depuis la fin du XVIIIème, l’alpage de Loriaz n’a cessé de voir sa fréquentation baisser (Les chiffres sur le nombre de laitières inalpées avant 1786 me sont inconnus).

 

 

 

 

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