Introduction En Savoie, les agriculteurs gardent leurs bêtes presque dix mois dans les étables et les nourrissent de fourrage récolté sur leur exploitation principale : c’est la période de stabulation. Dans les régions montagneuses, le chalet d’habitation a un rez-de-chaussée en grosse maçonnerie, destiné partie à usage d’habitation, partie à usage d’étable ; au premier étage se trouve une grange, dont le volume utile représente au moins les deux tiers du volume total de la construction. C’est là que le fourrage est engrangé à l’automne. Les terres situées à proximité immédiate des bâtiments agricoles sont de bonnes terres qu’il est préférable de destiner à la culture. Les terres non labourables et les prés sont toujours insuffisants pour assurer le fourrage nécessaire aux animaux pendant toute l’année. C’est une des raisons pour lesquelles dans ces régions montagneuses, on procède aux opérations d’inalpage. On met le bétail à la montagne, là où existent de hauts pâturages qui s’échelonnent entre 1500 et 2000 mètres d’altitude. Ainsi des animaux appartenant à quarante ou quatre vingt propriétaires sont rassemblés en un seul troupeau sous la direction de quelques bergers et d’au moins un spécialiste fromager. La montagne comporte en plus des bergeries, un bâtiment appelé chavanne, destiné au personnel et à la fabrication du beurre et du fromage. Les frais d’exploitation sont partagés entre les participants, au prorata du nombre de bêtes inalpées. Les bénéfices, toujours en nature, fromage gras (gruyère) et fromage maigre (sérac), sont répartis de la même manière. Ce système présente plusieurs avantages pour les propriétaires. La question économique est primordiale. La délégation du soin des bêtes permet de se livrer à d’autres occupations pendant les beaux mois d’été. La durée d’inalpage varie d’une vallée à l’autre et d’une montagne à l’autre. Elle peut ainsi aller de juin à octobre pour les montagnes en basse altitude et de juillet à septembre pour les plus élevées (Vallée de Chamonix). Le lait donné en montagne est bien plus gras que celui produit dans la vallée. Quand l’automne arrive, le bétail redescend dans la vallée. Durant quelques mois encore il est sorti quotidiennement pour pâturer les regains et les communaux non utilisés. Quand arrive la Toussaint ou le froid précoce, la stabulation recommence. En 1950, une enquête révèle que dans le secteur de la Haute Vallée de l’Arve (en amont de Cluses), on trouve : - 334 exploitations individuelles pour 9000 ha, - 26 montagnes collectives pour 5220 ha, - des alpages divers pour 1050 ha. Ces chiffres montrent l’importance des montagnes d’alpages dans l’économie de la région. Fondement de la propriété Les montagnes d’alpages peuvent être classées en quatre types : 1. Les montagnes d’alpages particulières, qui appartiennent à un, deux ou trois propriétaires ou sont en indivision (Montagne de Plan Praz ou de Chailloud). 2. Les montagnes d’alpages dont le caractère communautaire ancien et établi par titres (La Loriaz). 3. Les montagnes d’alpages communales, dont le sol appartient à la commune qui en règle l’exploitation. Parfois, les bergeries qui s’y trouvent ont été construites et appartiennent à des particuliers (Vallée du Bon Nant). 4. Les montagnes d’alpages collectives, appartenant à une collectivité dont le nombre de membres peut varier de 10 à une centaine d’individus, liés entre eux par un contrat, par accord tacite ou autre (Cas de la plupart des Montagnes de la Vallée de Chamonix comme celle de : la Flégère, les Chézerys, la Remuaz, les Posettes, Balme, Charamillon, Lognan, Bayer, Blaitière ainsi que La Balme dans la vallée de la Diosaz). A titre indicatif, la montagne de Lognan comporte 75 fonds, celle de la Pendant 66 et celle de Balme, la plus importante, en compte 160. Ce chiffre pourrait correspondre à 160 propriétaires mais certains particuliers en possèdent plusieurs sur la même montagne. Il est a remarqué que dans la Vallée de Chamonix, aucune montagne n’est communale. Ces alpages, situés au dessus de 1700m d’altitude étaient libres de forêt. Les premiers occupants se sont répartis les terrains d’un commun accord, chaque village se voyant attribuer l’alpage qui se trouvait le plus proche. La commune a ainsi récupéré les parcelles de moindre importance. Absence de droit immobilier & présence d’un droit d’usage Dans la Vallée de Chamonix, les différents droits sont les suivants :
Ces droits sont réels, souvent mentionnés dans les textes anciens et qui ont fait l’objet de transactions (achats, ventes, échanges) officielles. Seuls les deux premiers existent encore de nos jours. 1-
Droit de « fond de vache ». Il semble que le fond de vache soit une expression qui désignait tout ce qui était nécessaire à la vache : herbage, bergerie, matériel et donc la jouissance du sol. C’était donc seulement le droit de mettre inalper une vache à l’alpage commun. Il fallait de plus que la vache soit à lait. Dans
un acte notarié de1730, on parlait de « droit, étant
précisé que chaque droit est un droit d’inalper trois
bêtes à lait et que le droit d’inalper une bête est un fond. »
Le terme fond de vache apparaît donc vers 1730 pour désigner
un droit qui se trouve être le tiers du droit d’inalper trois vaches
sur l’alpage de la communauté.
Anecdote… Si deux enfants avaient hérité d’un fond de vache, l’un des deux devait racheter la part à l’autre. Quelques montagnes ont toléré que les deux enfants mettent alternativement chacun une bête, une année sur deux ! Chacun possédait donc un demi-fond soit deux pieds de fond de vache (la vache en ayant quatre). Dans le cas d’un héritage entre quatre enfants, chacun avait alors un pied de fond de vache. Enfin, dans le cas d’un héritage entre huit enfants, chacun avait alors un ongle de fond de vache… (Un ongle se disait aussi en patois cocaton). 2-
Droit de « place ». Au sein de la communauté, il existait de petites communautés particulières, distinctes de la première. On les appelle communautés de bergerie. Ainsi, plusieurs propriétaires de fonds pouvaient construire une petite bergerie sur le sol commun à tous. Ils en étaient entièrement propriétaires. Cette bergerie est désignée sur les actes anciens sous le nom de bouvée (de la famille de bœuf). Seule cette nouvelle petite communauté possède l’usage et le contrôle de sa bergerie. D’ailleurs, lors de son édification, elle y a seule contribué par son travail et des ses deniers, après que chacun eut décidé du nombre de places qu’il souhaitait y avoir et de leur emplacement. Chaque communier possède ainsi deux ou trois places précises pour y abriter ses bêtes. Ces places sont souvent numérotées. 3-
Droit d’ « engrais ».
La montagne où se trouve inalpé un troupeau dispose d’engrais naturel. Le terme moderne utilisé pour cet engrais est le fumier. Avant ce dernier, on parlé de la bourbe et l’emplacement qui la retient le bourbier. Au 18ème siècle, une autre expression était couramment utilisée : le fien (fiente en français). Et avant 1700, le terme employé était la druge. Cet engrais permettait de fumer les prairies à l’automne, pour l’année suivante. Il suffisait de détourner un ruisseau dans le bourbier pour que celui-ci déborde dans des canaux creusés à même le sol et aille inonder les pâturages. Sur certains alpages, le fumier était vendu. Le seul revenu de l’engrais produit justifiait la construction d’une bergerie en montagne. 4-
Droit de « feuillerin ». Les premiers agriculteurs de la vallée ont eu recours au ramassage des feuilles en montagne. Au printemps, ils entreposaient les fagots de petites branches d’arbustes dans les soleray pour les faire sécher. L’hiver venu, cela permettait de nourrir les chèvres. A l’automne, un second ramassage de feuilles mortes (particulièrement les vernes), permettait de constituer la litière pour les bêtes et donnait ensuite du fumier. 5-
Droit d’ « eau ». C’est un droit assez rare car les montagnes d’alpages ne sont généralement pas très riches en sources importantes. Les consorts de ces montagnes étaient plus attachés au droit d’usage. Le recul des glaciers implique un captage de plus en plus compliqué (longues canalisations, entretien…). En 1815, la Montagne de la Pendant cède le droit de dériver des eaux de la montagne vers une propriété privée située en dessous de celle-ci. Il n’est pas alors cédé le droit de l’eau mais son usage. 6-
Droit d’ « esternet ».
Le mot esternet désigne (en patois) les petits monticules d’aiguilles
de sapins ou de mélèzes que l’on trouve au pied des arbres. Après plusieurs
années passées en forêt, ils constituent un très bon engrais pour les
jardins potagers. Dans certains actes notariés, on retrouve ce droit
noté en réserve lors de la vente d’une forêt par exemple. Le fonctionnement dans le passé Les
vaches Les propriétaires qui constituent la communauté d’alpage sont en nombre assez variable. Ils sont par exemple 160 pour la montagne de Balme. On dit alors que la montagne comporte 160 fonds. Le propriétaire d’un fond a le droit de faire pâturer une vache sur la montagne collective au moment de l’inalpage, il paiera au « procureur moderne » sa part de tous les frais, impôts fonciers, entretien des pâturages, salaires, etc. En septembre, il reprendra sa ou ses bêtes et recevra une part du revenu en nature : beurre, gruyère, sérac.
La
pesée Toutes les bêtes sont réunies et confondues en un troupeau unique sous la surveillance du personnel engagé par le procureur. Une huitaine de jours après l’arrivée aux alpages, ainsi qu’une seconde fois un peu avant que le bétail ne redescende dans la vallée, le lait donné par chaque bête est pesé séparément ; la moyenne de cette double pesée servira à déterminer dans quelle proportion le revenu sera partagé entre les différents propriétaires du bétail.
Les
bâtiments Conçernant les bâtiments d’une montagne dans la vallée de Chamonix, la totalité de ceux-ci a parfois été édifiée en commun ; la propriété des constructions est également commune et se confond alors avec la communauté de l’alpage lui-même. On trouve aussi certaines montagnes où seul le bâtiment dit « la chavanne », servant principalement à la fabrication du fromage, est édifié en commun. Dans ce cas, les propriétaires se réunissent par petits groupes d’une dizaine, forment une nouvelle petite communauté particulière au sein de la grande et construisent à leurs frais une bergerie, laissant à chacun d’eux la place nécessaire pour y loger deux bêtes au moins. Cette bergerie, construite en bois ou en maçonnerie, est édifiée sur le terrain de la montagne qui appartient à tous. L’entretien et l’usage, comme d’ailleurs la propriété effective de la bergerie, ne concernent que le petit groupe qui l’a bâtie. Cette coutume est très ancienne puisque des titres de 1299 prouvent qu’elle existait déjà. Elle s’est perpétuée jusqu’à nos jours, même si elle n’est pas conforme aux lois françaises actuelles qui régissent la propriété (en particulier, personne ne songerait à revendiquer une quelconque propriété sous couvert de la prescription trentenaire). Si la bergerie disparaît par destruction accidentelle ou par vétusté, le sol est considéré par tous comme appartenant toujours à la montagne qui n’en a jamais été dessaisie, même temporairement. De son côté, la montagne ne revendique jamais la moindre propriété sur cette bergerie, bien qu’elle soit construite sur son sol. Même si la bergerie tombe en ruine, les divers matériaux appartiennent toujours à ceux qui les ont payés, apportés, mis en œuvre et qui ont formé ce petit groupe. La vie de cette bergerie est celle d’une nouvelle communauté, analogue à celle de la communauté d’alpage : même mode de vie, de règlements et d’administration. La construction, l’entretien, l’usage, la gestion sont communs aux propriétaires. Les
principales montagnes d’alpages communautaires de la vallée de Chamonix
ont fonctionné ainsi depuis des siècles, tant que les habitants se retrouvaient
chaque printemps pour reformer leur troupeau commun. Le problème
qui gagne ces montagnes vient de l’abandon, de la perte progressive
des coutumes qui régissaient jusqu’alors son organisation. Les assemblées
annuelles (organisées par les procureurs généraux) ne se sont plus tenues
régulièrement au point que pour certaines Montagnes, on ne connaît plus
les autres propriétaires de fonds de vache… |